“L’intuition, c’est l’excès de vitesse de la connaissance. C’est cette chose irrationnelle qui nous distingue de la prédictibilité de la machine”. Dans un monde où les datas et les algorithmes semblent gouverner le monde, le prospectiviste Philippe Cahen nous démontre l’importance de cette caractéristique, qui, pour l’instant, demeure le propre de l’humain.
Et le spécialiste de préciser sa pensée : “là où l’intelligence artificielle, prédictive de la continuité du passé, car dénuée de toute émotion, se contente de réitérer, l’intelligence humaine a cela d’intéressant qu’elle échappe à une prévisibilité totale par sa capacité à s’émouvoir, à communiquer et donc à innover”. Ce constat met en exergue l’importance, souvent négligée et difficilement quantifiable, du quotient émotionnel. Pourtant, c’est ce générateur d’aspérités et de reliefs qui nous pousse à transgresser les habitudes, à sortir des sentiers battus. C’est encore lui qui démultiplie la valeur d’une œuvre ou d’un produit : à sa valeur réelle, s’ajoute celle liée à l’émotion qu’elle ou il suscite.
Avec l’imagination, demain n’est plus la suite d’aujourd’hui
A ces différents égards, le prospectiviste refuse de réduire l’avenir à une notion calculable par des machines, y compris de plus en plus performantes. Comme argument, il y oppose le pouvoir de l’imagination humaine, dont l’intuition peut se faire le guide et l’émotion le déclencheur. “Imaginer, c’est le mot magique qui échappe à nos algorithmes et qui permet de sortir de la pensée en silo, de déprendre, d’apporter quelque chose qui n’appartient qu’à soi”.
Et le monde entrepreneurial n’échappe pas à la règle : “si une entreprise intègre l’imagination à sa démarche, elle sort du cadre, c’est-à-dire qu’elle n’est plus sur le chemin de ses concurrents”. Philippe Cahen illustre son propos en s’appuyant sur le cas d’Apple, qui a su séduire et remporter l’adhésion d’une foule d’adeptes en imaginant et réintroduisant l’émotion au cœur de chaque étape du processus de création, de la conception au design, en passant par la distribution.
L’imagination devient alors une donnée-clé car, en offrant la possibilité de ne pas simplement copier, elle confère une personnalité au produit, à la communication et à ses messages. Si ce n’est du rêve, elle ajoute la dimension aspirationnelle et la désirabilité nécessaires pour se démarquer et toucher la corde sensible d’une cible, en titillant son fameux quotient émotionnel.
Imaginer sans être créati.f.ve
“L’imagination et la créativité ne sont pas données à tout le monde, ou en tout cas, pas dans les mêmes mesures”, souligne Philippe Cahen. Mais alors comment créer et innover si l’on ne se considère pas comme créati.f.ve ? Est-on condamné.e à suivre le mouvement ? Là encore, le prospectiviste refuse la fatalité. “La méthode que je propose réintroduit l’imagination et la met à la portée de tous”. Simple mais pas forcément évidente, sa méthode consiste à imaginer, en termes de prospective, une chose et son inverse. Concrètement ? Le Salon de l’Automobile 2018 qui vient de fermer ses portes nous procure un exemple adapté : à l’assertion “la voiture de demain sera électrique et autonome” qui a semblé y faire l’unanimité, il convient d’envisager une solution alternative où l’automobile du futur ne sera ni électrique ni autonome. Cette manière de procéder permet ainsi de dérouler tous les scenarii possibles et leurs implications, en faisant appel à la capacité d’adaptation de l’humain. Elle fait également écho à l’affirmation d’un autre grand penseur, Albert Einstein, qui tenait “l’imagination (pour) plus importante que la connaissance”.